Exit - III -
Elle n’a pas de visage bien défini; parfois elle est, d’autres fois elle n’est plus. Je me joue des tours.
Sur la route, le 8 Août 2004,
Chère toi,
J’écris cette lettre que j’aurais tellement peur de t’envoyer. Le train avance en même temps que les traînées de poudre, qui s’élancent suivant les lignes horizontales du paysage. Ce sont en même temps des anecdotes qui se répandent à travers ce jeu. Je crois que tu es de ces personnes qui arrivent à influencer mes sentiments.
J’ai là un goût amer, parce que je me sens de plus en plus loin de toi ; et la frise sur la vitre du train ne cesse de tracer ses motifs infinis. Je traverse de plus longs chemins pour essayer de t’ouvrir les livres que je n’ai jamais écris. Un peu d’amertume, je crois bien que je pense souvent à toi.
Pourtant, je sais que l’on ne se connaît pas complètement… Mais c’est le mystère de tes yeux qui me fait t’adorer. J’aime chercher à comprendre les mots étrangers. Parle-moi, chuchote à mon oreille quelques traversées…
Tu es si étonnante, c’est bien cela qui me plait. Une fille avec laquelle on pourrait te confondre ne saurait exister ! Comment te dire que tu sembles être la photo que je voudrais conserver près de moi ?
On ira s’évader ensemble, assis sur les étoiles, et on dormira sur le toit du ciel ! Et même si on se perd, ce ne sera pas bien grave, on se tiendra par la main pour se perdre ensemble…
Alain P.
Je me demande si « l’ami » est, ou si « l’ami » est invention. L’idéal de l’amitié que j’ai n’est autre qu’un reflet qui pourrait me comprendre et m’apprécier comme je le suis. Sûrement que cette personne, c’est moi. Mais un ami ne peut être soi même. Je crois surtout que j’ai besoin de penser que je suis compréhensible.
Grau du roi, le 12 Août 2004,
Cher ami,
Comme tu le vois sur la carte postale je suis bien arrivé à la mer. Je suis dans un centre de vacances et pour la première fois, je ne fais pas vraiment d’effort pour m’intégrer parmi des jeunes. Seulement le strict nécessaire pour ne pas être exclu. Ce sont les autres qui viennent vers moi en premier. Pareil pour les filles. Comprends-moi, je suis un peu las de me forcer à jouer les relations futiles qui doivent durer seulement quelques jours. Ce qui m’intéresse c’est la sincérité, l’authenticité des relations qui peuvent s’établir sur un intervalle de temps naturel.
Mes compagnons de vacances ne répondent pas à ma mentalité, et sont tout à fait différents de mes fréquentations habituelles. Je suis étranger parmi les étrangers. Bien sur, je pourrais m’adapter aux circonstances le temps du séjour, tu sais bien que je suis sociable ! Mais je suis parti pour me faire plaisir, alors je veux profiter de mes journées selon mes propres goûts.
L’amour de la nature me conduit souvent à m’échapper du tumulte des autres, pour déguster pleinement des moments perdus. Sans être troublé, je reste fidèle aux promenades. Mes voyages traversent le port de Camargue, et atterrissent paisiblement parmi les plages et les palmiers. Ils s’étendent aussi verticalement, quand se dresse devant moi ce tableau saisissant, que je voudrais peindre sur les murs de ma chambre.
Il y a en effet cet endroit retranché, où je prends plaisir à m’asseoir sur un banc de rochers velouteux. Mes pieds baignent dans des flots verts azurés, qui clapotent contre le doux cuir des crabes, et cajolent en même temps mon regard. La mer s’étend infinie, je crois alors avoir le monde à moi ! Au loin, il y a une ligne qu’on ne voit pas. C’est le ciel et la mer qui s’embrassent sous le même coup de pinceau. Les voiles blanches sont de petits moutons qui broutent l’herbe du pré. Je n’ai pas de flûte, mais le vent salé suffit à bercer nos oreilles.
Et le soir, crois-moi, quand le soleil vient à se coucher, j’aimerai mourir en même temps que lui ! La force des rayons qui résistent dans la gouache forme alors une mosaïque triomphante. Les jets lumineux sont comme d’ultimes éruptions qui traînent, tout en sachant qu’il faut partir…
Par ailleurs, la plupart de mon temps est consacrée à la navigation. L’eau file à toute vitesse pendant que le catamaran semble être au milieu de nul part. C’est une sensation de liberté qui m’émeut, et qui me donne envie de parcourir le monde entier.
Tu te demandes sûrement ce que mes compagnons de vacances peuvent penser… Mais rassures-toi, je suis incompréhensible pour bien de monde, même pour mes amis. Et ici, cela m’amuse de voir que l’on s’étonne quand je décide d’aller écrire ou lire à la plage. Je sais bien que je suis exigent à propos des relations, mais je crois plutôt que c’est le bonheur qui l’est. J’ai parfois du mal à m’amuser… (Peut-être que je ne sais pas comment faire). J’ai besoin de mes amis qui sont un socle stable auquel je peux me reposer. Ici, ils sont absents, mes uniques repères sont alors ce qui se rattache à mes goûts. Et tu sais bien que j’adore voyager parmi les rêves…
Les derniers jours ont été un peu difficiles. Non, non, ne crois pas que j’aurais voulu rester plus longtemps encore, une semaine comble largement mon besoin de dépaysement ! Mais c’est qu’avec la distance, ma grand-mère m’a énormément manquée… C’est idiot de dire ça, je le sais, car n’importe où je serai sur cette Terre, nous serons toujours séparés par les mêmes distances ! En fait, c’est que j’ai pris entièrement conscience de l’irrévocabilité de la situation…
Je deviens plus complexe. Pas encore tout à fait, et c’est pour cela que mes pensées sont parfois confuses. Mes choix également le sont, et parfois même, ont été mauvais. Je pense à tout cela, et mes vacances défilent au rythme de mes réflexions.
J’espère que tout se passe bien pour toi, et que nous pourrons nous revoir bientôt.
Amitiés,
Alain P.
Je redoute de ne pas savoir goûter les joies comme il le faut, et de passer à coté de beaucoup d’insouciance. C’est aussi quand j’y réfléchis que je m’en éloigne le plus. Pourtant, je trouve cela nécessaire, parce que je n’aime pas ce qui est inutile, et je voudrais tout écrire avant d’avoir vécu. Je crains surtout d’avoir compris des contradictions dont il ne faut pas s’en rendre compte.
J’ai fais des efforts pour renouer de manière plus vérace avec mes amis de Créteil. L’atmosphère qui m’était familière est retrouvée. Aucun désagrément avec François : comme toujours, nos discussions sont longues et convergent facilement.
Ce sont sûrement de nouvelles époques qui arrivent bientôt. Je crois avoir laissé derrière, des années immenses, tant d’erreurs inéluctables… Mais le temps a pris soin d’appliquer du baume sur les plaies, et d’apaiser les chagrins.